• Entretien sur La Rumeur du Soleil (Gallimard, 1989) [1990]

    Luc Vigier: La Rumeur du Soleil nous a semblé reposer dans sa structure, sans s'y limiter aux structures de l'initiation.On sait qu'elle se décompose en deux grandes phases qui sont la déstructuration de l'individualité de l'initié et d'une seconde phase qui est sa restructuration.On verra qu'elles coïncident peut-être avec les deux grandes phases de votre roman que sont "La Mer Océane", sorte de descente, de deconstruction, et "La Rivière-Dieu", phase ascendante de restructuration..Nous allons procéder à un examen, à un repérage systématique de ces ritèmes dans votre roman et nous allons vous demander si vous en êtes d'accord, de réagir aux diverses interprétations "initiatiques" que nous ferons de La Rumeur du soleil. Première piste, qui concerne le début du roman, les premiers chapitres, la mise en place des personnages et de la situation.Nous proposons une lecture du début de votre roman comme la mise en place des éléments fondamentaux de l'initiation.Nous avons en effet deux initiés potentiels, l'Amiral et Mendoza qui ont cette particularité d'être imprégnés des rites de l'Eglise , de l'Ecriture Sainte, ce qui les rend particulièrement réceptifs aux autres rites.C'est dire que ce sont tous les deux des "déjà-initiés", ils appartiennent d'emblée à une société initiante, à divers degrés il est vrai, la seule figurequ'ils aient en commun est celle du Christ.L'Amiral l'accroche à la proue de son navire, Mendoza se fait fouetter sur son corps de bois pour l'imprégner de son sang.Nous avons donc un triptyque et le Christ en est le centre.On pourrait voir dans ce triptyque une mise en abyme des initiés.Le Christ serait sinon initiateur, du moins guide.(Etant donné que vous le nommez "Christophore", c'est à dire porteur de Christ, les rapports s'inversent entre le Christ et l'Amiral), l'Amiral lui-même par son grand âge et surtout par ses multiples expériences du voyage serait l'initiateur et le guide de Mendoza qui du stade d'initié christique passerait à une initiation seconde qui détruirait la première et aboutirait à sa réintégration finale dans la société d'origine et servirait de témoins post-initiatique, dans La Porte d'Ombre. Que pensez-vous de cette triple figure?Est-elle viable?

     


    PHILIPPE LE GUILLOU: Elle est tout à fait viable dès l'instant qu'elle est même dans le roman, dans la vierge du Fjord, dans la vierge ouvrante, c'est le Christ, c'est le Père et puis c'est l'esprit.A mon avis, c'est la triade agissante dans l'imaginaire et dans le texte.Vous dites que l'Amiral est déjà désolidarisé, en effet, il doute déjà, il est détaché.Quand le Christ entre dans le roman il est comme une présence, et, bizarrement, c'est d'abord comme une présence esthétique.C'est ce grand Christ, qui est d'ailleurs aussi à Morlaix, est en même temps présence sacrée.Ce qui me fascine dans le Christ, c'est l'Ecriture quis'accomplit.Comme il est dit dans les Psaumes, "Tu m'as formé le corps (...) je suis né du rouleau du livre et j'ai dit :'Je viens au monde pour faire ta volonté".C'est la matérialisation de 1'écriture, du souffle du Père. Effectivement quand je commence ce roman, jepense aussi à la structure initiatique:l'homme vieilli, détaché de tout, de l'homme amer, cet homme dont toutes les expériences précédentes ont échoué, surtout ;c'est d'ailleurs pour cela que tout le monde est mort, que tout le monde a disparu, que la femme est morte... Il marche sur des tombeaux, sur des dalles funéraires, au-dessus de la crypte aquatique dans laquelle flottent lescercueils des amiraux.Si le Christ vient d'Espagne, Mendoza lui vient du Greco.Ce qui préside à l'organisation de la fiction c'est effectivement cette triade-là.Père-Fils-Esprit. La où je suis tout à fait d'accord avec vous c'est que l'Amiral va le désinitier à l'Eglise, à la religion.L'Amiral imposera le Christ, mais, je m'en rend compte à présent, il sera capable d'écrire:"Le nom de Dieu est vide".L'initiation de Mendoza commence véritablement sur la Rivière-Dieu, lorsque Mendoza lui-même est allé au fond du gouffre, comme le lit l'Amiral dans le livre de bord de Mendoza, l'eau pourrit, l'ostie pourrit, tout a perdu son goût.Ensuite, la
    fascination va être de nature homosexuelle, ou de nature homophilique plus exactement ;d'ailleurs la scène est emblématiquement inscrite, je ne m'en rendais pas compte, au début du roman, lorsque le sculpteur du Christ glisse sur lui comme s'il était en train de l'étreindre.L'acte physique qui est dans le roman l'acte le plus transgressif et le plus scandaleux, l'acte qui va matérialiser véritablement l'initiation.Il est à ce point initié qu'au moment de la Porte d'Ombre, il est l'Explorateur lui-même.Tout s'est bouclé, le jeu de miroirs s'est accompli, il a changé lui-même de camp.

     


    LV:Ce dont j'ai eu l'impression c'est qu'il y a non pas une initiationmais une double initiation qui se développe en deux temps.La traversée de la Mer Océane est pour l'Amiral presque une formalité, par contre, l'Amiral affirme que l'initiation au seuil de la Rivière-ieu ne faisait que commencer.Je me demande si l'initiation de Mendoza n'a pas commencé dès le début, dès le départ avec les épreuves de l'isolement, la rupture, la fracture de la folie.C'est quelqu'un qui n'a jamais voyagé...

     

    PHILIPPE LE GUILLOU: Au début, je voulais trois enfermements: l'enfermement du bateau, celui de lajungle et l'enfermement d'une cellule au retour.Mais je croyais que dans cette dernière cellule il y aurait l'Explorateur.Il se trouve qu'il est mort sous ma plume...A ce moment-là, la transmission de l'héritage était accomplie et Mendoza revenait au premier plan.L'Explorateur s'impose sa propre initiation, il est à lui-même initiateur, il est initiateur de son intériorité, notamment quand il s'agit pour lui d'atteindre ce qui à mon sens constitue l'homme c'est à dire l'essence de la réminiscence.C'est ce qui explique que toute cette première partie est nostalgique et mémorielle, rétrospective. C'est une fois que les deux figures de la Vierge Noire et de la tortue (deux figures creuses qui se répondent) auront perdu de leur force obsédante que Mendoza apparaîtra au premier
    plan.C'est à ce moment-là aussi que les rapports s'inversent.Au rapports de haine et de rejet entre les deux hommes, on va passer à un rapport de séduction, de fascination etc...que le corps, sa beauté, de Mendoza va intervenir.Elle intervient lorsque l'Amiral se dit que c'est un corps qui a peut-être été peint par Aldoro.Ce genre d'images sont autant de présences esthétiques(qui sont aussi des présences sacrées)qui courent tout au long du roman et se distribuent ensuite dans la narration avec des effets de prolepse.des jeux de miroirs etc.Mais ce sont des rhizomes d'imaginaire qui sont situés dès le début.Il y a initiation, mais initiation à quoi?...

     

    LV:Oui, les deux hommes s'accouplent, dans la deuxième partie du roman, c'est ce que vous appelez l'"acte transgressif".11 y a une sorte de préinitiation de l'Amiral lorsqu'il assiste dans les cales de son propre bateau à un scène de sodomisation parmi les marins de l'équipage.La scène première est décrite mais pas la seconde.Pour quelle raison?

     


    PLG: Si, la scène était décrite mais elle a été coupée par l'éditeur. La scène existait ...Pour des raisons de décence, on m'a fait sentir qu'il n'était pas nécessaire de s'appesantir ...J'y reviens cependant et je dis le scandale de la scène, "le j'ai sodomisé, j'en est fait un adepte de Sodome, un adepte de la Grande Cité etc"

     


    LV:Le parcours initiatique est, on le sait, ponctué, rythmé par des cellules, des loges.Avez-vous pensé lorsque vous présentez l'Amiral au début du roman dans son cabinet de cosmographie àla loge, à la cellule initiatique, est-ce que cette cellule initiale ne trouve pas de multiples échos dans les diverses cabines, celle du navire par exemple puisque la cabine de l'Amiral est elle-même enfermée dans la coque du navire, dans les diverses alvéoles, huttes ou fosses qui souvent apparaissent à la fois comme des lieux de mort et de résurrection, c'est à dire comme des lieux de métamorphose?

     


    PLG:Oui, c'est évident.Je suis moi-même fasciné par ces lieux-là.Je ne peux écrire un roman que lorsqu'il y a une crypte, ou une cellule, une chambre, ce sont des lieux qui déclenchent la fiction.Mon prochain roman, c'est dans un donjon, cela commence par une cellule mais au lieu d'âtre une cellule enfouie et aquatique comme au début de La Rumeur du Soleil, c'est au contraire une cellule céleste:elle est au sommet du donjon entouré par un lac, mais abritée des atteintes de l'eau.J'ai toujours besoin de ces lieux-là.Comme les rhizomes dont je vous parlais;, tout à l'heure, une première cellule apparaît et puis ensuite, ça se multiplie.Ce sont des lieux focaux, fondamentaux.J'ai besoin de me lover dans ces lieux-là, de m'y enfouir.Le bateau, c'est vrai, est une somme de cellules.Après il y a les fosses, les rigoles et les ravins chez les Imuides et enfin la crypte finale, celle des Imuides, qui est la prolongationde la cellule initiale.Mais cette eau ne renferme plus des cercueils en décomposition, elle est le lieu de fusion de l'eau et du feu.Ce sont des lieux initiatiques.Il y a aussi les cellules des bordels de Venise, au raz de l'eau, la cellule de Fra Domenico, le cartographe, la cellule de cendre.C'est aussi ma fascination pour ce tableau qui est à Venise, le Saint-Augustin de Carpaccio, l'Ecrivain-Prêtre si vous voulez.C'est que j'analyse dans le prochain roman.Il y a deux tables, la table du sacrifice et la table de l'Ecriture, cette dialectique qui fait que pour moi l'écriture participe du acré. 'est une sanctification, mais qui tourne parfois à vide ...c'est pourquoi je vous demandais "initiation, mais initiation à quoi?"...D'où cette fascination du rite.L'écriture est un rite, et dans ce roman, c'est évident.C'est en même temps la grande métaphore de la création, de l'Ecriture, de la réminiscence.Ici, c'est de l'ecrivain explorateur qu'il s'agit.D'ailleurs cinquante jours de mer égalent cinquante jours d'écriture ...Cinquante jour de pages blanches, cinquante jours de chimères, cinquante jours de fantasmes...

     


    LV:Vous collez donc complètement à l'image de l'écriture-voyage, l'écriture perdition également?

     


    PLG:Oui, l'ecriture perdition, l'écriture égarement, l'écriture surtout au fil du texte.Ce livre n'a de cohérence que dans le mouvement même de l'écriture.

     


    LV:Est-ce que les arrêts, les seuils du roman sont autant de seuils de votre travail?

     

    PLG:Oui, cela peut-être une résistance, mais aussiune volonté de casser la fiction.La fiction est pour moi une matière proliférante.Il faut par moment parquer des jalons. Qui dit itinéraire dit station, dit pause, ça peut-âtre des résistances, des difficultés, des nausées, mais aussi autant de relances.Plus que les personnages qui cheminent par les sas initiatiques c'est la fiction elle-même qui est toujours en cheminement initiatique.C'est-de façon quelque peu narcissiqueson propre imaginaire qu'on ferait circuler à l'infini par les portes, les brèches, es cryptes de son étre, avec aussi effectivement égarement, peur, où vais-je aller, doute...

     


    Nous avons interprété les deux grandes parties de votre roman, La Mer Océane et La Rivière-Dieu comme les phases respectivement de descente et de remontée qui symboliquement caratèrisétl'initiation

     


    PLG:Oui, mais on peut aussi inverser.La Mer Océane, c'est la remontée à la mémoire, remontée à l'origine, remontée aux mots fatals du père "Tu es perdu", remontée au nom;remontée de la Rivière-Dieu mais aussi descente dans la souillure, descente dans la pulsion, descente dans la mort, amoindrissement du corps ...Ce qui m'amène à m'interroger sur le statut un peu particulier de la troisième partie qui est là, comne le disent certains, comne une sorte de fin baclée, de fin inutile, d'appendicemais qui est pour moi la grande question, qui fait que dans la fiction il y a pour moi trois voies ou trois claviers.I1 y a l'écriture de la réminiscence dans la première partie, réminiscence sur théâtre du monde, aventure de la réminiscence, deuxième partie, le "western", cinématographique au possible, les indiens, les flèches, les foréts, j' y prends d'ailleurs un plaisir d'écriture terrible ...Et la troisième partie, c'est laconfrontation théâtrale, le dialogue entre les deux.Je prends du plaisir à opposer ce sujet à cette loi réductrice, à ce carcan, un sujet qui est un sujet en dehors, un sujet de l'écart, de la transgression qui revient et qui se heurte etc.Il y a donc trois écritures, trois voyages de la fiction.

     


    LV:Ce qui m'a interessé, c'est la fracture.On peut analyser le départ de la ville d'origine comme une fracture d'avec la société de départ.Et puis entre la mort de l'Amiral et le retour de Mendoza, il y a aussi une fracture, une béance...
    Nous avons repéré également nombre de ritèmes qui correspondent presque rigoureusement à ceux que je vous ai énoncés tout à l'heure.C'est assez aisé à repérer:l'utopie et l'uchronie nous les retrouvons très vite par l'isolement du bateau, vous avez évoqué à l'instant les trois enfermenents, le noman's land marin, l'isolement de l'eau, la perdition, la perte de repère d'identité et géographique , La folie également contribue beaucoup à cet isolement:folie de l'équipage qui grouille dans la coque du bateau comme une sorte d'intestin malade...

     


    PLG:Qui atteint même les autres membres de l'équipage qui pétaient animés a l'origine que par leur désir du cursus honorum, que par leur désir de progresser, de revenir à la cour, de se placer socialement.

     


    LV:I1 y a le silence aussi que vous signalez souvent qui contribue aussi à l'isolement.Mendoza parle de moins en moins, il n'arrive plus à écrire, à communiquer quoi que ce soit.On a l'occultation du nom de l'Amiral...

     


    PLG:Oui, il n'habite pas son nom.C'est un des problèmes fondamentaux dé écriture.A la fois le nom du sujet écrivant, celui du personnage.Le personnage de mon futur raman, je lui fait dire dans un carnet "Mon nom est un mot:drame et vérité de celui qui écrit."Dans Le Pape Noir, le pape changeait de nom, de Léopold il devenait Miltiade.Son but était d'âtre pape , d'habiter les rites du Vatican mais aussi de hanter ce nom.Ici le nom, il le tait, il le cache, il se le dissimule, c'est un nom noir, le nom négatif, le nom positif étant le Christophore.

     

    LV:On a aussi la peur, les ritèmes schizoidiques, chez Mendoza surtout, les ritèmes probatoires avec l'épreuve du feu(à distance) mais il ya aussi, symboliquement la fièvre.

     


    PLG:Vous avez aussi ce que j'appelle le Passage des Anges destructeurs qui renvoie à des hordes d'anges armés de glaives de feu, ce sont des anges sur l'eau.Il y a aussi toute une cartographie de la mer, toute une geographie de la mer qui fait qu'elle est cloisonnée et jalonnée de sas qui sont autant de lignes à franchir.

     


    LV:Oui, vous parlez d'une "géographie rituelle de l'eau".Dans les ritèmes probatoires, il y a aussi l'oiseau de feu.C'est une vision qu'a l'Amiral dans son délire à la fin de la première partie...

     


    PLG:Oui, c'est celui-là (Philippe Le Guillon désigne un grand oiseau aux yeux exorbités, bariolé de couleurs vives, aux deux ailes dressées comme deux violents faisceaux de flammes), c'est Garuda, c'est le coursier de Vichnou dans la mythologie indoue, alors vous voyez, il est convulsif, exhubérant, avec des flamnes, des griffes, des serres ...C'est un jeu:je place un objet, comme je place ma Vierge, c'est le côté ludique de la fiction, le côté collage.

     


    LV:A propos des collages, je voulais vous demander d'où vient le cimetière des bateaux que vous décrivez dans la seconde partie...

     


    PLG: C'est à Landevennec, au fond de la rade de Brest, c'est quelque chose que j'ai vu quand j'étais enfant ...Le territoire de l'imaginaire est lié à un repérage géographique, et pour moi il est lié à ma géographie natale.Dans un ouvrage que je suis en train d'écrire sur Gracq je dis qu'il suffit d'un nom pour faire naître un écrivain et je suis persuadé que le nom qui fait naftre l'écrivain Gracq c'est le nom d'Argol qu'il trouve sur un modeste dépliant d'horaire alors qu'il vient faire un premier voyage en Bretagne.L'Aulne et l'Elorne, ces deux rivières qui se jettent dans la rade de Brest et qui délimitent mon territoire natal, ce sont deux noms qui dès l'enfance m'ont fasciné, qui ont d'une certaine manière décidé de l'écrivain que j'allais être.D'ailleurs le personnage de mon prochain roman dit "Je suis le fruit de l'étymologie songeuse de ces noms".Le territoire romanesque est une sorte de projection, de réaccomplissement ou de résurgence du territoire initial.Et les mots sont liés à ce territoire.

     


    LV:Est-ce que La Rumeur du Soleil n'est pas un roman initiatique à la fois au sens structural et étymologique du terme.L'etymologique interprétation serait la lecture du roman comme une quête obsédante de l'initium, de l'origine.

     


    PLG:Oui, tout à fait.Je me méfierais d'un roman qui comblerait case par case un scénario initiatique donné.Ce serait totalement contraire à la conception de la fiction que j'ai et à ma pratique d'écriture.C'est une pratique en flux, une pratique d'inspiration, une pratique plutôt torrentueuse de l'écriture.Initium, initialité, en tout cas, tout à fait ...Mysticisme de l'origine...

     


    LV: les récits, les souvenirs d'expéditions antérieurs les récits qui s'enchassent dans le récit principal ne sont-ils pas comme des doublets négatifs, c'est à dire voués à l'échec de cette conception etymologique de l'initiation.La remontée du fjord, cette remontée vers "la brèche initiale des choses" qui aboutit au ventre de mort de la Vierge Noire, ou encore cette traversée nocturne de Venise prenant ses racines dans un bordel et aboutissant à la révélation de l'éxistence de la Rivière-Dieu ne sont-ils pas des voyages initiatiques manqués ou du moins inachevés...

     


    PLG: tout à fait.Ce sont des voyages initiatiques manqués, des rudiments de voyages initiatiques, des indicatifs du grand voyage initiatique à venir, des préfigurations du véritable voyage initiatique qui sera à la fois accomplissement et totalisation de ces voyages manqués.Ils n'ont fait qu'ouvrir une brèche vers un ailleurs.La remontée du fjord, c'est le voyage vers l'initial. mais aussi le voyage vers la mère, la mère de mort, cette vierge qui est une sorte de maternité, dans une scène de l'annonciation liée à la mort...

     


    LV:justement, on pourrait faire un pontage entre la psychanalyse et l'initiation puisque cette brèche originale des choses à plusieurs reprises coincide avec la fente originelle, il y une sorte de remontée utérine vers un autre ventre que le ventre mort de la Vierge Noire ...C'est toujours pour l'Amiral la recherche d'une fente par où s'introduire...

     

    PLG: ce sont des choses dont je n'ai pas conscience.Ce que vous dites est possible ...mais ce sont des images qui ont une telle force qu'elles se mettent en place d'elles-mêmes... Je ne m'appliquerai je crois jamais à la psychanalyse parce que l'écriture est elle-même exorcisme, purgation et, en même temps, les figures qui ne sont pas tout de même au stade d'une catastrophique ' névrose, reviennent hanter la fiction, et ce faisant elles sont comme autant de pôles de séduction, d'attirance de la fiction.Si la fiction n'avait plus ces choses-là, il n'y aurait pas d'écriture.Il y a écriture parce qu'il y a ces figures qui bougent, qui sont comme des médaillons de soleil sous l'eau, qui miroitent, qui sont là dans la feuillure de l'eau et dans son drapé, et en même temps dans le drapé de la réminiscence et de l'inconscient.Je les saisis inconsciemment, je les devine, je les vois, je m'en amuse quelquefois.L'écriture est alors une écriture du désir, du désir de ces figures, de leur saisie ...Il est vrai qu'elles puisent toutes aumême fond de fantasmes, la brèche, le sexe, l'intromission, le coït.

     


    LV: l'initiation doit être soutenue par une légende basale.Pour vous, explicitement, il s'agit d'Ulysse et de Noë...

     


    PLG: le scénario de base ...Il y a une parabole aussi...l'homme dieu se remet pas de ne pas avoir créé le monde.Du coup il sera créateur avec un petit "c", il sera cosmographe. Au creux de ce vide il va se raconter des histoires, s'arroger par elles ce pouvoir qu'il n'a pas eu, alors il va façonner une genèse, totalement imaginaire, verbale...

     


    LV:Je voudrais revenir sur l'épisode du premier récit.Lorsque l'Amiral écrit le récit de la remontée du fjord, il l'écrit d'abord et ensuite il le lit à voix haute.Après avoir lu son récit, l'Amiral constate que Mendoza l'a écouté attentivement d'un bout à l'autre et il dit "Peut-être venais-je, bien malgré moi;de l'initier à la beauté du monde".Outre que cela nous replace dans le couple initiateur/initié, n'y a-t-il pas dans cette épisode la traduction de votre propre récit, n'apercevez-vous pas dans ce couple le doublet narrateur/lecteur?

     


    PLG:Tout à fait.La scène de la remontée du fjord est une scène de préfiguration romanesque.C'est aussi la célébration de la beauté du monde, panique et cosmique, qui est au sein de l'écriture poétique du récit.Ma conception du roman ...est celle d'un narrateur initiateur.J'irai même jusqu'à la conception stendhaliennedes "happy few".Je crois aussi que l'écriture est une perspective d'initiation.

     


    LV: la quête de l'origine du monde se double constamment d'une recherche du nom voire de l'acte de nommer, recherche du nom propre, est ce que cette obsession poétique de nommer n'est pas représentative des préoccupations de l'écrivain que vous êtes.

     


    PLG: tout à fait.D'ailleurs avec les ratés du nom.Le nom d'Erosia jailli dans une sorte de transe halucinatoire, au bout d'une sorte d'éjaculation suivie d'une phase déceptive.Un nom est sorti mes, , ce n'est que ce nom là.L'écriture est une rumeur de nome et brusquement le nom s'isole, le nom se stabilise.C'est tout à fait emblêmatique du travail du romancier poète.

     


    LV:Je reviens sur le le rôle de l'eau, de l'élément aquatique.Ne joue-t-elle pas le rôle de vecteur de l'initiation...

     

    PLG: si, car dans mon univers imaginaire, c'est l'élément dominant.J'ai une fascination de l'eau, liée au feu d'ailleurs.C'est la vastitude marine puis la profondeur et l'entaille du fleuve.

     


    LV:votre récit est ponctué de seuils, de portes, réels ou symboliques, la porte de Fra Domenico, la porte d'ombre ...qui RYTHMENT l'exploration.Est ce que ce rythme peut-être conçu comme le rythme de l'initiation, qui fonctionne elle aussi par récurrence, par recommencement...

     


    PLG:Oui, j'ai besoin de ces choses-là, d'ailleurs la Porte d'Ombre, c'est aussi l'anus de Mendoza, c'est la porte de la cellule, c'est enfin la mort.

     


    LV:Nous avons remarqué l'absence totale de femme initiée dans votre roman...

     


    PLG:Je ne les vois pas prendre place là-dedans.Quelle que soit la fascination que j'ai pour elles, je ne peux pas les placer dans un récit initiatique.Dans mon prochain roman, il y a deux femmes qui participent indirectement de l'initiation.L'une d'entre elle est peintre et c'est pour cela que je lui accorde le droit de se rapprocher de la zone d'échange.Mais autrement non, c'est impossible.Mais enfin, vous me dites qu'il n'y a pas de femme ...les personnages masculins de la Rumeur sont aussi un peu féminins:.C'est la fascination de l'androgyne, qui est la grande affaire de la réconciliation et de l'écriture.Les hommes qui sont mis en scène ont tout de même une grande part de féminité agissante.Ils la cherchent ou l'expriment.Leur participation à la féminité est aussi participation à la figure de la mère, de la soeur, de la maftresse ou de l'amante.

     

    [Fin de l'entretien.]

     

     

     


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